Monsieur le Président de la République,
Notre collectif représente les acteurs associatifs œuvrant pour la défense et le développement des langues territoriales en France, comprenant des acteurs du monde éducatif et culturel engagés dans la transmission de ces langues, dans tous les territoires concernés par cette pratique éducative : Alsace-Moselle, Bretagne, Catalogne, Corse, Flandre, Occitanie-Pays d’Oc, Pays Basque, Savoie.
Ce Collectif, constitué à la rentrée scolaire de septembre 2019, s’alarme des conséquences dévastatrices pour la place des langues régionales dans le système éducatif français induites par la réforme du lycée et du baccalauréat, menée par le Ministre de l’Éducation nationale, M. Jean-Michel Blanquer.
Nous avons manifesté le 30 novembre dernier avec un millier d’enseignants, élèves et parents d’élèves, responsables associatifs, acteurs culturels et politiques, pour dénoncer les effets « linguicides » de cette réforme au mépris de l’article 75-1 de notre constitution, au mépris de l’article 312-10 du code de l’éducation, au mépris des conventions internationales garantes des droits culturels et linguistiques, et en opposition avec vos propres engagements électoraux (que nous reprenons en annexe de ce courrier) ainsi qu’avec vos déclarations comme Président de la République, notamment celle du 21 juin 2018 : « Les langues régionales jouent leur rôle dans l’enracinement qui fait la force des régions. Nous allons pérenniser leur développement ».
Une délégation avait certes été reçue ce jour-là par les collaborateurs du ministre, mais cette esquisse de dialogue n’a connu aucune suite. Pourtant, début janvier, nous avons écrit à Monsieur le Ministre pour préciser nos demandes dans le courrier ci-joint. Nous n’avons reçu aucune réponse, aucun contact n’a été établi par le ministère.
Par ailleurs, la proposition de loi N° 321 « relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion » a été débattue le 13 février, en présence du Ministre Jean-Michel Blanquer qui, au nom du gouvernement, a demandé et obtenu que soient rejetées en bloc toutes les mesures proposées pour améliorer la place des langues régionales dans le domaine éducatif, comme il l’avait déjà fait pendant la discussion de la loi pour une école de la confiance. Enfin le « plan langues » qui est mis en œuvre oublie complètement les langues de France dont l’offre va encore régresser. Nous ne pouvons interpréter cette attitude de rejet systématique de toute mesure en faveur de nos langues autrement que comme une fin de non-recevoir de sa part, et un refus total de tout dialogue.
Aussi, face au déni de réalité des conséquences mortifères de la réforme du lycée et au refus systématique d’améliorer le statut de nos langues malgré vos engagements, c’est à vous que nous nous adressons aujourd’hui avec l’espoir d’être enfin entendus.
En effet, l’avenir de la diversité linguistique et culturelle qui existe encore en France ne relève pas seulement d’une approche éducative, même si l’Éducation doit jouer un rôle central dans la transmission des langues et cultures de notre pays. C’est tout un projet pour l’avenir de la France qui est ici en jeu.
La réalité de la diversité linguistique de la France ne reçoit pas une attention suffisante des institutions. La démarche éducative en faveur des langues régionales telle qu’elle a été lancée dans l’Éducation nationale et l’enseignement confessionnel depuis 1951, et dans l’enseignement par immersion dans le secteur associatif depuis les années 1970, ne peut suffire à elle seule à sauver nos langues d’une disparition à moyen terme. C’est pourtant ce dispositif modeste que la réforme Blanquer du lycée et le Plan Langues sont en train de faire disparaître, en même temps que tout espoir d’une relance de leur rayonnement.
Nous sommes atterrés par le discours de déni des conséquences mortifères de la réforme du lycée et du baccalauréat pour nos langues que répètent le Ministre et ses recteurs depuis son entrée en vigueur. Ils se cachent, pour nier ses effets massifs et destructeurs, derrière le paravent d’une soi-disant « filière d’excellence », nouvellement créée, une option d’un enseignement de spécialité (EDS) alors même que pour toute la France, cette « filière d’excellence » ne compte en tout et pour tout qu’une centaine d’inscrits pour toutes les langues régionales. De toute façon, nous ne voulons pas que l’école favorise une poignée de spécialistes, nous voulons un accès facilité pour tous les jeunes à la langue de leur territoire.
La réalité, c’est ce que nous craignions en début d’année scolaire, et ce que nous ne pouvons malheureusement que constater avec effroi aujourd’hui : l’effondrement des effectifs, comme la suppression et la précarisation des filières existantes dans de très nombreux établissements de l’enseignement public et de l’enseignement confessionnel. C’est en fait tout un « écosystème » qui est menacé de disparaître si des mesures réparatrices ne sont pas prises immédiatement.
Ces mesures, elles ont été proposées au Ministre de l’Éducation nationale depuis plus d’un an par les associations, par de nombreux élus et toutes les régions concernées. Malgré l’urgence d’une intervention corrective (avant que la prochaine rentrée scolaire ne vienne encore aggraver la situation), aucune des mesures proposées n’a été retenue, aucun amendement à la réforme n’a été annoncé.
Nous sommes aussi atterrés par les conséquences mortifères que va provoquer le Plan langues étrangères notamment par le « tout anglais pour tous » et le bilinguisme précoce français anglais qu’il promeut aux dépens des langues de France y compris du Français qui risque à terme de se retrouver dans une situation diglossique préjudiciable que les autres langues de France connaissent bien.
Notre Collectif, maintenant que les mesures liées à la situation sanitaire sont progressivement levées, reprend sa mobilisation. Nous lancerons de nouvelles actions, et nous voulons faire en sorte que la question des langues et cultures régionales ait toute sa place dans les débats généraux sur notre modèle de société qu’il faudra urgemment engager dès que nous serons sortis de la crise actuelle.
Cependant, nous souhaitons très sincèrement qu’un dialogue s’instaure au plus tôt, et tel est l’objet de ce courrier que nous vous adressons. Nous espérons pouvoir rencontrer vos collaborateurs, et même vous sensibiliser directement à ce qui, répétons-le, représente un enjeu majeur pour la société française : l’avenir de sa diversité culturelle et linguistique.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sentiments les meilleurs.